17 février : le vent se calme
Emmanuel : « Le vent devrait se calmer à 25 kt puis 20 kt dans la journée, toujours de l’ouest, je pense que nous allons pouvoir décoller de notre refuge où nous sommes bloqués depuis 7 jours. Nous devrions réussir à passer Brecknock, puis embouquer le canal cokburn. Sur la route il y a des solutions de repli à 19 milles et 22 milles dans des abris de pêcheurs. J’ai pensé aussi à Punta Arenas, j’ai demandé l’avis de Denis Chevalley, mais aussi de Patrick Jeandidier, et de Fernando. La ville a 120000 habitants, mais il n’y a pas de port décent ni pour les petits ni pour les gros navires, pas de facilités, pas de travel lift pour hiverner à terre. Il faut s’amarrer au quai protégé par des gros pneus, et rester obligatoirement à bord de façon à changer d’amarrage tantôt à l’est tantôt à l’ouest selon le vent, et selon le traffic des navettes.
Après Brecknock, il y aura encore deux difficultés: les Evangelistes à l’extrémité du Magellan, et le Golfe des Peines. Pour le reste c’est long mais ça devrait aller: Avec Marc et Arnaud, nous formons une bonne équipe, je suis confiant.
Nous ne sommes pas tout seul: Floris et Ivar, sur Lucipara2, un ketch Hollandais, sont mouillés à côté de nous, nous échangeons les info, de même Anna et Paolo sur Zoomax, un cigale Italien de 16 m, qui sont 5 jours devant nous, mais doivent déposer deux équipiers à Puerto Natalès avant de reprendre la route pour Puerto Montt. »
16 février : 52 kn au mouillage
position inchangée au mouillage isla del medio dans la canal Ballenero: 54°48′ S, 70°57′ W, 999 hPa.
Emmanuel : « Lucipara2, ketch hollandais, nous a rejoint hier après midi dans notre abri, nous avions fait connaissance au Micalvi, impossible pour eux d’aller plus loin, il était temps de se mettre à l’abri. Le vent a commencé à monter en soirée puis toute la nuit, faisant vibrer le bateau et hurler les gréements, les rafales ont atteint 52 kt.
L’amarre arrière tribord a lâché, c’est Arnaud qui s’en est rendu compte à la lumière du jour ce matin, le bateau est resté tenu par les trois autres et l’ancre. Nous l’avions nouée à une grosse aussière laissée en place par les pêcheurs, c’est l’aussière du pêcheur qui a cédé.
Aujourd’hui, La tempête se calme progressivement, nous pensons pouvoir partir soit ce soir, soit demain à l’aube. »
dessin Hélène en 2018 : Chugach s’était amarré exactement de la même façon
15 février : williwaws et yankee au balcon
Emmanuel : « Position inchangée 54°48′ S, 70°57′ W, 1000 hPa, vent nul (pour le moment), au mouillage dans isla del medio, canal Ballenero, à l’ancre + 4 amarres de 100 m. La crique dans laquelle nous sommes mouillés est un port naturel de 200m x 200 dans laquelle on entre par un goulet étroit. Elle est entourée de collines de 50 m de haut joliment boisée de cohihués, de mousses et de calafate. Nous sommes aux pieds des Andes que les dépressions successives venues de l’ouest doivent contourner par le sud. D’habitude les fenêtres entre deux dépressions durent 48 heures ce qui laisse le temps d’avancer d’un abri à l’autre. Or ces derniers jours l’espace n’est que de 12 heures, pas assez pour franchir au près contre le vent Brecknock distant pourtant de seulement 50 milles. Nous attendons depuis 5 jours la fenêtre idéale. Elle devrait enfin se présenter dimanche.
Mais d’ici là nous arrive de l’ouest le pire des coups de vent: 45 kt sur les grib, rafales à 60 kt, sans compter les williwaws. Les williwaws sont un effet de site particulier aux côtes Patagoniennes du Chili. Ils se forment lorsque les vents violents d’ouest arrivent sur les reliefs de l’archipel Chilien, en créant dans les criques des mouvements tournants de force et de vitesse très élevés, et en levant des tourbillons d’eau ou de neige fondue qui peuvent masquer la côte. La durée du phénomène est de 8 à 10 secondes, rarement une minute, les rafales peuvent dépasser la vitesse de 100 kt.Et donc la matinée a été passée à préparer le bateau au pire. Tout a été rangé sur le pont et solidement amarré,.les amarres à terre ont été renforcées.Pour limiter le fardage, nous avons descendu le Yankee, et l’avons plié sur le pont et emballé avec des rabans comme un roti d’aloyau, que nous avons solidement attaché au balcon. La baston arrive ce soir à 18h. »
14 février : bonne fête à tous les amoureux
Position inchangée, sur Isla del medio dans le cabal Balleneros: 54° 48′ S, 70°57′ W, 998 hPa, rafales à 43 kt dans le mouillage. La situation devrait s’arranger à partir de dimanche. En attendant bonne fête à tous les amoureux.
13 février : sur les traces de Joshua Slocum
Emmanuel : « Toujours en attente d’une fenêtre météo, bien abrités dans isla del medio dans le Canal Ballenero, nous assistons au passage des coups de vent venu par l’ouest buter sur la cordillière des Andes pour glissser ensuite vers le cap Horn. Pour franchir le canal Brecknock afin d’embouquer le canal Cockburn vers le nord, nous attendons pour notre petit bateau, un vent pas trop violent et mer pas trop formée afin de franchir au près serré le canal Brecknock.
Bloqué au même endroit, Joshua Slocum, en 1896, sur le Spray, premier à boucler le tour du monde en solitaire, sur un sloop de 11,20 m, est passé par l’extérieur, par l’océan, par la Milky Way entre les îles Furia, un récit impressionnant : alors qu’il s’était éloigné de la côte à la tombée de la nuit, il s’est trouvé devant le terrible rugissement de brisants pas loin de l’étrave, voulant s’en écarter, il faisait route sur un autre et encore un autre, sous la grêle et la neige fondue. Le pire cauchemar de sa vie. Il a fini par s’en sortir au lever du jour par miracle, peut-être la main de Dieu, raconte-t-il, en découvrant qu’il s’agisait de brisants formés par une mer énorme venue de loin sur une myriade de rochers à peine submergés, qui ont menacé de l’engloutir pendant la nuit. L’endroit porte le nom sur les cartes de Milky Way de la mer, appellation qu’il a donnée dans son livre « Sailing alone around the world ». Après un tel récit, il n’est pas question pour nous de passer par l’océan, nous préférons le canal, quitte à patienter un peu. »
12 février : pato vapor et caranca
position: 54°48′ S, 70°57′ W, 1008 hPa, à l’abri dans islas del Medio, canal Ballenero, rafales à 38 kt au mouillage.
Emmanuel : « En attente d’une météo favorable pour franchir Brecnock. Pour l’immédiat et les jours suivants, ça ne passe pas : vent de face N/NW 30 kt rafales à 40. Patience..
Nous sommes bien abrités dans une anse entourée d’arbres, dont l’entrée en goulet entre les rochers ne dépasse pas 8 m, notre largeur est de 4,30m. Nous passons la journée en compagnie d’un couple de pato vapor (brassemer cendré) et d’un couple de caranca (ouette marine).
Le brassemer cendré fouille les algues avec son bec orangé vif, se nourrit de crustacés et de petit poissons qu’il attrape en plongée, il est méfiant, ne se laisse guère approcher, ses ailes sont trop courtes pour voler, mais elles lui servent à ramer à toute vitesse, les sprint dépassent les 10 kn.
L’ouette marine mâle est toute blanche, avec bec noir, la femelle gris foncé avec jolies plumes striées sur les flancs. Les deux couples semblent se partager en exclusivité la petite anse où nous sommes abrités.
C’est aussi le moment de confectionner de nouvelles manilles textiles en dyneema, aussi solides que l’acier. Nous les couplons à des anneaux antal afin de les installer dans les cuningham de la chute de GV pour faciliter la prise de ris automatique. Et enfin, Arnaud a copié 30 films sur un disque dur sur le voilier Shana (Pierre-André et Joelle) au Micalvi . Hier nous avons regardé Big Fish de Tim Burton, et un film argentin: les nouveaux sauvages. »
11 février : coincés pour quelques jours au milieu du Balenero
position: 54°48′ S, 70°57′ W, 1024 hPa, vent grib W 25 gust 35 kt, vagues.3,5 m, amarrés dans l’isla del medio dans le canal Balenero.
Emmanuel : « Le Canal Balenero est ouvert sur la Pacifique dans sa portion ouest, nous ne passerions pas au près à contre courant par mer formée, nous sommes obligés d’attendre deux jours abrités au mouillage: lecture, cinéma, Scrabble, et bonne cuisine vont nous occuper les prochaines 48 heures.
C’est le capitaine Fitz Roy (sur le Beagle avec Darwin) qui a donné le nom de Canal Balenero en 1830. Il comémore le vol d’une baleinière par les indiens Yamana à proximité du cabo desolacion sur l’île basket où s’était rendu le maître d’équipage Matthew Murray, pour repérage et pour faire de l’eau. Pour revenir sur le Beagle, il a réussi à construire une barque en forme de panier (d’où le nom île basket) à l’aide de paille et d’argile, et à rejoindre sain et sauf le navire sur ce frêle esquif en deux jours. Pour récupérer sa baleinière, Fitz Roy décide de prendre en otage 9 femmes et un enfant de 9 ans capturés sur l’île Burnt, en espérant que les indiens Yamana de la même tribu viendraient négocier. Que nenni ! les femmes se sont échappées, en laissant l’enfant. Celui-ci a été baptisé Fuegia Basket et emmené en Angletterre. Et pour finir la baie qui a étcé le théatre de ces premiers échanges entre blancs et indiens a été nommée Seno Ladrones: baie des voleurs. »
10 février : le glacier de los fotografos
Position : 54°49′ S, 69°40′ W, 1001 hPa, vent 21 kt W (dans l’axe du canal de Beagle). GV 3 ris + moteur.
Emmanuel : « Il fait nuit de 22h à 5h30, les cartes étant erronées, il n’est pas possible (et même interdit) de naviguer de nuit. Les abris pour passer la nuit sont nombreux et bien répertoriés dans le guide de Giorgio Ardrizzi. Hier nous avons franchi la moraine qui barre l’entrée du Fiordo Pia aux pieds de la Cordillera Darwin puis pénétré jusqu’au fond du Brazo interieur dans lequel se jettent le glacier Romanche, le glacier Pia, et tout au fond le glacier de los fotografos, en slalomant entre les bourguignons ou en les poussant de l’étrave pour passer. De temps à autre des morceaux de glacier se détachent dans un bruit de tonnerre en envoyant à l’eau des icebergs bleu topaze millénaires. Puis nous avons installé notre mouillage dans caleta Beaulieu, face au glacier Pia.
Le mouillage précédent était très différent, dans une crique entourée d’une forêt primaire impénétrable. La plage est bordée d’arbustes, en particulier une sorte de laurier qui donne un petit fruit riche en vitamine C, un buisson épineux qui donne le calafate (une baie noire dont le goût rappelle celui du croque-poux de nos jardins), et dans l’herbe un celeri délicieux, lui aussi riche en vitamine C. Quand Magellan a du attendre un mois dans la baie des sardines, son équipage s’est gavé de céleri et en a emporté des provisions. C’est ainsi que durant la traversée du Pacifique, qui a duré trois mois, il n’ a eu « que » 9 morts de scorbut, ce qui a permis de mener à bien son expédition. »
Photo d’Arnaud
9 février : le braso noroest de l’île Gordon
Nous allons passer par son Braso noroest, au dessus de l’île Gordon, après avoir contourné l’isla del Diablo (nom donné par Fitz Roy à cause d’un hibou que ses marins ont pris la nuit pour le diable). Nous allons passer la nuit bien abrités au mouillage dans la Caleta Olla. »
Position à 9 heures ce matin (heure locale) : 54°58′ S, 68°03′ W
pour repérer leur route dans ce dédale : mapcarta
NB : pendant tout le parcours dans les canaux, Emmanuel peut me communiquer des messages écrits par satellite, mais pas de photos : j’illustre donc ce passage dans les canaux par des photos tirées entre décembre 17 et mars 18.
photos Hélène en décembre 2017 : la Caleta Olla
8 février : Un galop d’essai de 40 milles
Emmanuel : « Male cuncta ministrat impetus« . C’est du latin, ça veut dire pas d’impétuosité, un bon conseil de Montaigne, un grand maître à penser, tout en lucidité, tolérance et liberté. Paul de « Makita », est mécanicien, il navigue en famille: Spitzberg, passage du Nord-ouest, cap Horn, son avis sur notre moteur est rassurant. De même celui de Marc, mécanicien, et ceci après avoir examiné la bête dans le détail. C’est décidé, le départ est donné, « prêt et entier pour une nouvelle entreprise ». Nous avons quitté le Micalvi, et sa légendaire et chaleureuse entr’aide entre marins, ce matin à 7h30.
Un galop d’essai pour première étape, en remontant sur 40 milles le Canal de Beagle, avec l’idée d’aller passer la nuit dans la Caleta Olla.
Nous progressions contre le vent en direction de l’île Gordon. Patrick Jeandidier skipper du « Manamo » était amarré dans la caleta Boracho, en train de préparer un feu sur la plage avec son équipage (Rodrigo, Philippe et Daniel) pour cuire un gigot d’agneau. Quand il nous a vus passer sur l’AIS, il nous a invités par VHF à le rejoindre. Ni une ni deux, changement de route, amarrage à couple et c’est la fête, avec pour spectacle les contreforts des Andes, le Beagle argenté tout plat, les cumulus blancs bleus jaunes puis roses orangés à mesure du coucher de soleil. Après deux heures de cuisson à la flamme, le gigot était succulent, agrémenté de patates à la braise, et d’un carmenere du Chili. Pour entrée un guacamole + chips, et pour dessert une salade defruit. Un asado qui restera longtemps gravé dans les mémoires.
Position le matin : 54°54′ S, 68°34′ W
dessin et photos Hélène , décembre 2017 : le canal Beagle, vers l’Ouest